Utilisation des IPP chez les enfants âgés de moins d’un an
Utilisation des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) chez les enfants âgés de moins d’un an en France. Étude à partir du registre EPI-MERES issu du SNDS.
Contexte et objectif
Le reflux gastro-oesophagien (RGO) physiologique du nourrisson est un phénomène fréquent, qui correspond à la remontée du contenu gastrique dans l’oesophage, avec ou sans régurgitations. On parle de RGO pathologique lorsque le reflux du contenu gastrique provoque des symptômes gênants, c’est-à-dire affectant le bien-être et les activités quotidiennes de l’enfant, ou des complications, principalement l’oesophagite. En pratique clinique, il est parfois difficile de distinguer le reflux physiologique du reflux pathologique, car les symptômes sont le plus souvent non spécifiques, et relèvent d’un continuum entre les deux situations. Chez les enfants âgés de moins de 1 an, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont recommandés uniquement pour le traitement du RGO pathologique. Les données disponibles indiquent que l’utilisation d’IPP dans la première année de vie progresse avec le temps, et qu’elle pourrait être particulièrement élevée en France par rapport à d’autres pays. En outre, l’utilisation d’IPP pourrait entraîner des risques d’effets indésirables chez le jeune enfant.
L’objectif de cette étude était donc de quantifier et caractériser l’utilisation des IPP chez les enfants âgés de moins de 1 an nés entre 2010 et 2021 en France.
Matériel et méthodes
Nous avons utilisé les données du registre national mères-enfants EPI-MERES, construit par EPI-PHARE à partir du Système National des Données de Santé (SNDS).
L’ensemble des enfants nés vivants entre le 01 janvier 2010 et le 31 décembre 2021 ont été inclus, en distinguant les enfants avec un diagnostic hospitalier de RGO pathologique au cours de la première année de vie de ceux sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique.
Les analyses ont consisté à mesurer l’incidence d’utilisation des IPP avant l’âge de 1 an, parmi l’ensemble de la population et par année de naissance, et à décrire les modalités de cette utilisation et les caractéristiques des utilisateurs (caractéristiques démographiques et socio-économiques, caractéristiques médicales, indicateurs de recours aux soins). De plus, parmi les enfants sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique, les caractéristiques des utilisateurs d’IPP ont été comparées à celles des non utilisateurs à l’aide de modèles de régression logistique multivariés.
Résultats
Un total de 8 222 100 enfants a été inclus dans l’étude (dont 114 014, soit 1,4 %, avec un diagnostic hospitalier de RGO pathologique au cours de la première année de vie). Parmi eux, 703 891 (incluant 641 973 enfants sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique, et 61 918 avec un diagnostic hospitalier de RGO pathologique) avaient reçu une délivrance d’IPP avant l’âge de 1 an. Pour l’ensemble de la période 2010-2021, l’incidence d’utilisation des IPP dans la première année de vie atteignait 7,9 et 54,4 pour 100 personnes-années, respectivement, parmi les enfants sans et avec un diagnostic hospitalier de RGO pathologique. L’incidence d’utilisation des IPP a fortement augmenté entre 2010 et 2021 parmi les enfants sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique (de 5,5 à 9,0pour 100 personnes-années, soit +63 %) et dans une moindre mesure parmi les enfants avec un diagnostic hospitalier de RGO pathologique (de 43,1 à 57,6 pour 100 personnes-années, soit +34 %).
L’âge médian à l’initiation du traitement était de 83 jours parmi les utilisateurs d’IPP sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique et de 62 jours parmi ceux avec un diagnostic hospitalier de RGO pathologique, en baisse entre les périodes 2010-2015 et 2016-2021 (de 91 à 77 jours et de 65 à 59 jours, respectivement). Parmi les enfants sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique, le traitement avait le plus souvent été initié par un pédiatre libéral (dans 48 % des cas) ou un médecin généraliste (26 %), alors que parmi les enfants avec un diagnostic hospitalier de RGO pathologique il s’agissait majoritairement d’un prescripteur hospitalier (63 %). Les IPP avaient été délivrés en médiane 2 fois dans la première année de vie parmi les utilisateurs sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique et 3 fois parmi ceux avec un diagnostic hospitalier de RGO pathologique, et le traitement avait été poursuivi au cours de la deuxième année de vie dans 15 % et 23 % des cas, respectivement. L’IPP le plus utilisé était l’ésoméprazole dans sa formulation pédiatrique (91 % et 95 %, respectivement). Seuls 7 % des enfants sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique avaient eu un remboursement pour un examen complémentaire évocateur de la recherche d’un RGO pathologique (pH-métrie, endoscopie oesogastroduodénale, notamment), contre 36 % de ceux avec un diagnostic hospitalier de RGO pathologique.
Parmi les enfants sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique, les facteurs les plus fortement associés à l’utilisation d’IPP étaient la prématurité (vs à terme ou post-terme : prématurité modérée, odds-ratio ajusté [ORa] 1,45 [1,44-1,47] ; grande prématurité, ORa 1,49 [1,45-1,54] ; prématurité extrême, ORa 1,91 [1,82-2,01]) et la présence de pathologies digestives (ORa 5,60 [5,45-5,71]), respiratoires (ORa 2,73 [2,70-2,75]), ou neurologiques (ORa 1,59 [1,56-1,62]). De plus, à caractéristiques médicales et de recours aux soins comparables, l’utilisation d’IPP était d’autant plus fréquente que le niveau socio-économique maternel (mesuré par l’indice de défavorisation et le niveau de ressources) était élevé (vs 5e quintile de défavorisation [le plus défavorisé] : 1er quintile [le moins défavorisé], ORa 1,80 [1,79-1,82] ; 2e quintile, ORa 1,34 [1,32-1,35] ; 3e quintile, ORa 1,16 [1,15-1,17] ; 4e quintile, ORa 1,07 [1,06-1,08] / vs bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire [CSS] : non bénéficiaires de la CSS avec un salaire <2 000 euros, ORa 1,61 [1,59-1,62] ; avec un salaire ≥2 000 euros, ORa 1,92 [1,91-1,94]).
Conclusion
L’utilisation des IPP avant l’âge de 1 an est fréquente en France et elle a fortement augmenté entre 2010 et 2021, en particulier parmi les enfants sans diagnostic hospitalier de RGO pathologique.
Cette utilisation, d’une durée généralement limitée, concerne des enfants de plus en plus jeunes dont le diagnostic de RGO n’est le plus souvent pas documenté. Elle apparaît plus élevée parmi les enfants présentant des facteurs de risque connus de RGO pathologique sévère et chronique (prématurité, pathologies digestives, respiratoires ou neurologiques), mais aussi, indépendamment de ces facteurs et des indicateurs de recours aux soins, parmi les enfants issus de milieux socio-économiques favorisés, suggérant que des facteurs de nature non strictement médicale pourraient jouer un rôle dans la prescription des IPP chez le nourrisson.
Utilisation des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) chez les enfants âgés de moins d’un an en France. Étude à partir du registre EPI-MERES issu du SNDS.