Le 6 novembre 2025

Valproate chez le père et risque de troubles neuro-développementaux chez l’enfant

Exposition paternelle au valproate au cours de la spermatogenèse et risque de troubles neuro-développementaux chez l’enfant - Étude nationale à partir du registre EPI-MERES

Contexte

Le valproate et ses dérivés sont indiqués en France dans le traitement de l’épilepsie et des troubles bipolaires. Chez les femmes, ces traitements sont contrindiqués au cours de la grossesse (sauf en cas d’inefficacité ou d’intolérance aux alternatives médicamenteuses) car ils augmentent fortement les risques de malformations congénitales et de troubles neuro-développementaux (TND) chez l’enfant à naître. Les données chez l’animal suggèrent que l’exposition paternelle au valproate pourrait provoquer des troubles du développement dans la descendance. Chez l’Homme, les études épidémiologiques sur ce sujet sont peu nombreuses et leurs résultats discordants : alors qu’une étude (non publiée) a rapporté un risque de TND augmenté chez les enfants de père exposé au valproate pendant la spermatogenèse, cette association n’a pas été retrouvée dans les deux seules études publiées sur le sujet (l’une menée sur les données du registre national suédois, et l’autre sur les données du registre national danois). Toutefois, ces études comportent des limites importantes, notamment des effectifs limités ne permettant pas l’étude des risques spécifiques des différents types de TND.

 

Objectif

L’objectif de cette étude était de mesurer l’association entre l’exposition paternelle au valproate pendant la spermatogenèse et les risques de TND chez l’enfant, en utilisant les données du Système National des Données de Santé (SNDS) couvrant l’ensemble de la population en France.

 

Méthodes

L’étude a été menée à partir du registre EPI-MERES, créé par EPI-PHARE à partir du SNDS. Tous les enfants nés vivants entre 2010 et 2015 et avec un père et une mère identifiés ont été inclus, à l’exception de ceux atteints d’une malformation cérébrale, issus d’une grossesse avec assistance médicale à la procréation, ou dont la mère avait eu au moins une délivrance remboursée pendant la grossesse d’un médicament dont l’exposition in utero est associée à un risque augmenté de TND (i.e., acide valproïque, valpromide, carbamazépine ou topiramate). Chaque enfant a été suivi à partir de la naissance jusqu’à la survenue d’un TND (incluant les troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, les troubles du développement intellectuel, les troubles du spectre de l’autisme, les troubles de la communication, et les troubles des apprentissages), du décès, ou jusqu’au 30 septembre 2024. Les enfants dont le père avait eu au moins une dispensation d’un médicament à base d’acide valproïque (ou valproate) indiqué dans l’épilepsie dans les quatre mois précédant la conception (période de la spermatogenèse) ont été considérés comme exposés. L’incidence des TND, considérés dans leur ensemble ou séparément par type de TND, a été comparée entre les enfants exposés et (1) ceux dont le père avait eu une dispensation de lamotrigine ou lévétiracétam pendant la spermatogenèse (analyse principale) ; (2) ceux de père (i) ayant arrêté le valproate avant la spermatogenèse ou (ii) atteint d’épilepsie non traitée par valproate, lamotrigine ou lévétiracétam (analyses complémentaires). Les comparaisons ont été réalisées par des modèles de Cox pondérés en utilisant des scores de propension prenant en compte les caractéristiques sociodémographiques et d’état de santé des enfants et de leurs deux parents et les caractéristiques des grossesses dont ils étaient issus. Des analyses de sensibilité ont été effectuées pour tester la robustesse des résultats en faisant varier la méthodologie statistique, la définition de l’exposition et la population prise en compte.

 

Résultats

Parmi un total de 2 832 850 enfants nés entre 2010 et 2015, 4 773 étaient nés d’un père traité par valproate pendant la spermatogenèse (enfants exposés) et 3 115 d’un père traité par lamotrigine ou lévétiracétam. La durée médiane de suivi après la naissance était respectivement de 11,9 et 11,2 ans.

Au cours du suivi, 583 enfants exposés (soit 12,2%) et 310 enfants de père traité par lamotrigine ou lévétiracétam (10,0%) ont été identifiés avec au moins un type de TND : troubles déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité pour respectivement 149 (3,1%) et 77 (2,5%), troubles du développement intellectuel pour 42 (0,9%) et 11 (0,4%), troubles du spectre de l’autisme pour 77 (1,6%) et 39 (1,3%), troubles de la communication pour 294 (6,2%) et 157 (5,0%), troubles des apprentissages pour 160 (3,4%) et 97 (3,1%). Après prise en compte du score de propension, l’incidence des TND pris dans leur ensemble était significativement plus élevée parmi les enfants exposés que parmi les enfants de père traité par lamotrigine ou lévétiracétam (Taux d’Incidence pour 1000 enfants-années, TI : 11,0 [IC 95% : 10,1-11,9] versus 9,2 [8,1-10,2] ; Hazard Ratio, HR : 1,24 [1,07-1,44]). Dans les analyses par type de TND, le risque de troubles du développement intellectuel apparaissait plus de 2 fois plus élevé parmi les enfants exposés que parmi ceux de père traité par lamotrigine ou lévétiracétam (TI 0,7 [0,5-1,0] versus 0,3 [0,1-0,5] ; HR 2,12 [1,02-4,30]), avec une différence de taux d’incidence atteignant 0,35 pour 1000 enfants-années. Le risque des autres types de TND était plus élevé parmi les enfants exposés que parmi ceux de père traité par lamotrigine ou lévétiracétam, mais avec des écarts moins marqués que pour les troubles du développement intellectuel : pour les troubles déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, TI 2,7 [2,2-3,1] versus 2,2 [1,7-2,7], HR 1,24 [0,92-1,65] ; pour les troubles du spectre de l’autisme, TI 1,4 [1,1-1,7] versus 1,1 [0,8-1,5], HR 1,24 [0,82-1,87] ; pour les troubles de la communication, TI 5,4 [4,9-6,0] versus 4,6 [3,9-5,3], HR 1,23 [1,00-1,52] ; pour les troubles des apprentissages, TI 2,9 [2,4-3,3] versus 2,8 [2,2-3,3], HR 1,08 [0,83-1,41].

Les associations entre l’exposition paternelle au valproate pendant la spermatogenèse et les risques de TND étaient généralement peu modifiées dans les analyses de sensibilité. Toutefois, elles étaient renforcées lorsque la population était restreinte aux enfants dont le père avait une épilepsie identifiée dans le SNDS, avec des HR atteignant 2,62 [1,07-6,41] pour les troubles du développement intellectuel, 1,56 [1,05-2,30] pour les troubles déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, 1,95 [1,19-3,20] pour les troubles du spectre de l’autisme et 1,34 [1,04-1,72] pour les troubles de la communication. De plus, l’association avec les troubles du développement intellectuel était renforcée après exclusion des enfants avec une épilepsie identifiée (HR 2,50 [1,07-5,83]) ou de ceux de père ou de mère atteint de trouble de santé mentale ou de TND (HR 2,64 [1,17-5,96]).

Comme dans l’analyse principale, le risque de troubles du développement intellectuel apparaissait plus de 2 fois plus élevé chez les enfants exposés en comparaison des enfants de père ayant arrêté le valproate (HR 2,32 [0,94-5,76]) et des enfants de père atteint d’épilepsie non traitée par valproate, lamotrigine ou lévétiracétam (HR 2,10 [1,17-3,76]). En revanche, l’incidence des autres types de TND ne différait pas entre les enfants exposés et ceux de père ayant arrêté le valproate avant la spermatogenèse ou atteint d’épilepsie non traitée par valproate, lamotrigine ou lévétiracétam.

 

Conclusion

Cette étude suggère que l’exposition paternelle au valproate pendant la spermatogenèse est associée à un risque augmenté de TND chez l’enfant à naître. Elle a porté sur 4 773 enfants exposés, un nombre largement plus élevé que dans les études précédentes (plus de 8 fois plus que dans l’étude suédoise et 5 fois plus que dans l’étude danoise), constituant ainsi la plus vaste étude menée à ce jour sur le sujet. Les résultats sont particulièrement probants pour les troubles du développement intellectuel dont le risque apparaît doublé parmi les enfants exposés, ce qui se traduit par 3,5 cas supplémentaires pour 1000 enfants nés d’un père traité par valproate au moment de la conception. Ce résultat est robuste aux variations de groupe comparateur, de méthodologie statistique, de définition de l’exposition et de population considérée. Il vient confirmer des tendances rapportées dans les études précédemment publiées (risque de troubles du développement intellectuel augmenté de 60% dans l’étude suédoise et de 85% dans l’étude danoise), dont les effectifs limités ne permettaient pas de mettre en évidence des différences d’incidence significatives pour un événement aussi rare. Pour les troubles déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, les troubles du spectre de l’autisme et les troubles de la communication, une augmentation de risque plus modérée (de l’ordre de 20 à 25%) ne peut être exclue, mais les résultats, moins robustes, nécessitent encore d’être confirmés.

Ces résultats renforcent de façon notable les arguments en faveur des mesures de précaution mises en oeuvre en France depuis début 2025 pour limiter l’utilisation du valproate chez les patients de sexe masculin.

Rapport

Exposition paternelle au valproate au cours de la spermatogenèse et risque de troubles neuro-développementaux chez l’enfant – Étude nationale à partir du registre EPI-MERES